L’iceberg de la lexicographie

La rédaction d’entrées de dictionnaire est une forme d’enquête qui implique plusieurs étapes, que nous vous proposons de découvrir dans cet article, en nous appuyant sur un visuel de notre conception : l’iceberg de la lexicographie !

Premier article d’une série de trois, « Faire un dictionnaire », qui est suivi d’une présentation des méthodes et disciplines impliquées dans la conception de dictionnaire et du contexte politique et social de la naissance du Dictionnaire des francophones.

Chercher des nouveaux mots

La recherche documentaire ne se fait pas seulement en tendant l’oreille dans la rue et en affutant son regard durant la lecture du journal du jour. Il est difficile d’identifier les nouveaux mots, mais aussi les anciens mots, ceux dont toutes les définitions ne sont pas encore présentes, car nombre de mots sont rares, spécialisés ou d’usage confidentiel. Plusieurs méthodes sont disponibles, qui incluent souvent une rigueur d’observation et des informateurs et informatrices qui transmettent leurs relevés. Des outils informatiques permettent également de détecter des suites de caractères qui ne sont pas encore dans les dictionnaires. C’est une étape qui peut impliquer le plus grand nombre, surtout dans un dictionnaire participatif comme le Dictionnaire des francophones !

Documenter l’existant

Une fois qu’un nouveau mot ou qu’une nouvelle expression est identifiée, il faut vérifier sa forme écrite, avec les éventuelles variations orthographiques, souvent nombreuses dans le cas où le mot est emprunté à une langue étrangère à l’écriture non-latine. Cela se fait par la collecte d’exemples d’usage, provenant de sources variées, par leur origine ou leur époque. Cette documentation initiale servira de base à la suite du travail, et s’intégrera dans le résultat produit.

Une rangée d’icebergs en polygones.

Réunir des connaissances

Quelle est la nature de ce nouveau mot ? Il s’agit d’identifier son fonctionnement afin de déterminer les informations techniques pertinentes, en premier lieu sa classe grammaticale (nom, verbe, adjectif, etc.), puis la manière de l’utiliser : pour un verbe, son groupe ; pour un nom, son genre ; pour un adjectif sa position préférentielle par rapport au nom (épithète ou attribut) et ses formes fléchies (au masculin et au féminin, au singulier et au pluriel).

Qui l’utilise et dans quels contextes ? Les usages du mot sont identifiés par de nombreuses traces et connaissances sur la situation de production. Il s’agit à ce stade de s’assurer que le mot ou l’expression n’est pas seulement une création poétique unique, mais qu’il est repris et entré dans l’usage. La communauté d’usage est à déterminer, et certains ouvrages vont alors tamiser en éliminant les termes dont la communauté d’usage est trop restreinte (jargon spécialisé, mots familiers, mots à la mode).

Comprendre la signification

Une fois la nature établie, arrive le temps du sens. Les deux étapes se développent parfois en même temps, car l’analyse du sens ramène à l’identification d’informations sur l’usage. Le sens d’un mot dépend des autres mots qui l’entourent, et des manières dont la société conçoit les connaissances. Pour un animal par exemple, il sera utile de rapporter son nombre de pattes et sa couleur, mais les informations qui figureront au début de la définition et qui seront primordiales pour le distinguer, seront sa catégorisation biologique avec la famille et l’espèce. Une information cependant moins prioritaire dans un dictionnaire qui s’adresserait à une jeune audience ou à des personnes apprenant la langue. Le nom de la couleur pourra être en revanche plus précis dans un ouvrage spécialisé. Selon le champ de connaissance, il s’agira donc d’identifier les traits de sens spécifiques et pertinents.

Une rangée d’icebergs en polygones.

Connecter les informations

Une fois le sens et l’usage caractérisés, le nouveau mot peut être relié aux connaissances déjà documentées. Il existe parfois des mots de même sens (synonymes) ou de sens contraire (antonymes), des termes englobants (hyperonymes), des expressions composées à partir du mot identifié (dérivés et locutions). Tout un réseau lié à la forme et au sens est identifié et décrit, et ce réseau est dynamique. Il évolue avec l’ajout d’un nouveau terme, ou un changement dans les connaissances sur le monde. Le mot « poisson » n’est plus utilisé pour l’organisation phylogénétique des espèces, mais peut parfois apparaître cependant dans des définitions, selon l’audience ciblée par l’étude.

À ce stade, les futures définitions peuvent entrer dans des boîtes, des catégorisations du lexique, notamment lorsqu’il s’agit de termes de spécialité (biologie, football, journalisme, etc.) ou d’une partie d’une réalité plus large (une partie de l’aile, un os de la main, une pièce de machine).

Transmettre

L’objectif de l’analyse est de pouvoir transmettre son résultat à une audience, et cela d’une manière claire et concise, en faisant preuve de pédagogie. Ce sujet a été abordé dans un article dédié en juin 2023. Ciseler une définition demande une certaine pratique, pour transmettre un grand nombre de connaissances à une audience la plus large possible.

Outre le lectorat d’une définition, il est courant qu’une audience secondaire s’intéresse à la documentation réalisée, aux exemples collectés ou aux diverses observations rédigées durant l’étude. Le dictionnaire est un recueil de connaissances aux usages multiples. Un processus d’archivage est souvent mené en parallèle du travail éditorial, de rédaction et de mise en forme ou permettre la mise à jour future des connaissances.

La mise en page pour une consultation numérique plutôt que dans un ouvrage imprimé ouvre la possibilité de présenter côte-à-côte une définition simple et des explications plus détaillées, comme dans le Dictionnaire des francophones.

Une rangée d’icebergs en polygones.

Enrichir

Selon l’ouvrage, il est courant que le travail ne soit pas terminé à ce stade. La sélection des exemples est un travail délicat, qui implique parfois la recherche d’exemples supplémentaires qui soient plus simples ou plus illustratifs. Une explication de la construction du mot et de son histoire peut s’ajouter au sein d’une notice étymologique qui demande un tout autre travail d’analyse.

À la définition rédigée s’ajoute couramment l’indication de la prononciation, voire des enregistrements audio permettant d’accéder à la réalisation orale du mot. Des illustrations visuelles ou animées peuvent compléter l’entrée du dictionnaire.

Enfin, certains ouvrages incluent des traductions dans d’autres langues, des ouvertures vers la littérature autour du sujet ou des espaces d’expression libre avec des chroniques de langue ou des informations utiles pour l’apprentissage.

Une définition de dictionnaire peut être une porte d’entrée vers de nombreuses connaissances.

Le cheminement lexicographique

Cette petite plongée dans la méthode des lexicographes commence par une découverte, se prolonge dans les profondeurs du sens et des usages puis revient à la surface avec une définition de dictionnaire. Au flux initial d’information succède un reflux, enrichi des connaissances déjà recueillies, de leur mise en relation et d’un façonnage éditorial.

Cette démarche est une méthode qui assure de la qualité des connaissances présentées dans un dictionnaire. Elle s’articule avec un ensemble d’autres techniques, métiers et pratiques.

Bonne nouvelle, cette méthode exploratoire peut s’acquérir par la pratique ! En apportant vos connaissances dans le Dictionnaire des francophones, vous serez amenés à découvrir cette démarche et à acquérir différentes compétences bien pratiques, pour la confection d’un dictionnaire et au-delà. Jetez-vous à l’eau !

Un dernier iceberg immense grâce aux connaissances de tous les francophones.
Chaque bloc de glace compte !

Visuel de l’iceberg et polygones réalisés par Noé Gasparini, les petits motifs sont basés sur des formes tracées par marysan9. Les images comme le texte sont placés sous la licence CC BY-SA 4.0.