Les débuts du Dictionnaire des francophones

Ce matin, je suis seul au bureau, à cause des limitations imposées par la situation sanitaire. Cela me rappelle le début du projet, et je profite de ce moment calme pour regarder en arrière et débuter ces chroniques de coulisses dont le blogue du Dictionnaire des francophones doit se faire le diffuseur.

Premier message d’un cycle de billets sur les coulisses du projet.


Bonjour ! Je m’appelle Noé Gasparini et je vais commencer par me présenter. C’est un peu gênant de commencer par soi-même, mais c’est peut-être une bonne manière de vous présenter les débuts du projet et certaines des valeurs qui le sous-tendent, avec les personnes qui les ont amenées dans le projet. 

De l’Amazonie…

Avant de devenir chef de projet du Dictionnaire des francophones, je rédigeais une étude de la morphosyntaxe du siriono, une langue tupi-guarani parlée en Bolivie. C’était un projet de documentation, conduit entre 2011 et 2015, qui mena à la publication d’un dictionnaire de cette langue ainsi que de matériel pédagogique pour la communauté Siriono, deux mille personnes dont à peine une cinquantaine qui parlent encore leur langue traditionnelle. Ce projet était mené dans le cadre d’une thèse de linguistique qui n’a pas été défendue pour diverses raisons. Le projet de documentation a cependant permis de vivre plus d’un an (en plusieurs fois sur le temps du projet) au sein d’une communauté dont les usages langagiers sont méprisés, et de travailler avec la communauté à la création d’objets documentaires et patrimoniaux sur leur langue. 

…à la francophonie

Au premier regard, cela semble assez éloigné des grands enjeux francophones, mais la langue française est partout en contact avec d’autres langues, et peu de ses locuteurs sont monolingues. De plus, au sein de la francophonie, la norme du français de France place les autres variétés de la langue à une place proche de celle des langues en danger : mal considérées, moins bien décrites et peu enseignées. Rendre à chaque variété sa place au sein de son espace géo-culturel renforce également les autres langues parlées dans ces espaces, et facilite la reconnaissance des identités multilingues et multiculturelles.

Un atelier de discussion avec les Siriono pendant la conception de leur dictionnaire.

Découverte de la lexicographie

En parallèle à cette formation, je suis intéressé depuis des années par le Wiktionnaire, projet lexicographique collaboratif en ligne utilisant le même outil que Wikipédia et hébergé par la même fondation. Une pépinière de réflexion sur la lexicographie où l’ambition de l’objet rend les problématiques innombrables, et très souvent novatrices. Comment présenter par exemple la diversité de la prononciation quand le modèle du dictionnaire classique n’en présente qu’une ou deux ? Comment décrire les formes reconstruites par la linguistique historique alors qu’elles peuvent être contradictoires et que les méthodologies sont difficiles à vulgariser ? Comment bien illustrer le sens d’un mot alors que le lectorat est multiculturel et qu’il pourrait être choqué par une citation polémique ou une illustration taboue ? Ces diverses questions me menèrent à la lexicographie, et pour partie au poste que j’occupe actuellement de chef de projet du Dictionnaire des francophones

Concevoir un nouveau dictionnaire numérique

En septembre 2018, le projet du Dictionnaire des francophones est encore en discussion et l’Institut international pour la Francophonie, composante de l’Université Jean Moulin Lyon III me recrute pour concevoir le cahier des charges du prestataire qui s’occupera du développement et piloter ensuite les différentes personnes qui seront impliquées dans la réalisation du projet. 


La commande publique est alors ambitieuse mais nécessite un affinage pour de nombreuses fonctionnalités imaginées. Des priorités doivent être données au projet et des choix lexicographiques comme techniques doivent être faits. Les délais sont courts et l’équipe est composée d’une seule personne pendant les six premiers mois du projet. 


De nombreuses fonctionnalités rédigées dans les premières versions du plan de route viennent de connaissances acquises par la pratique du Wiktionnaire, avec ses bons aspects et ses limites techniques. Un travail comparatif a notamment dû être mené sur les pratiques de relecture a posteriori afin d’imaginer un dispositif efficace, qui pourra croître en même temps que la partie contributive du Dictionnaire des francophones prendra de l’ampleur. Mais la première priorité était de cadrer le besoin technologique et de réunir les premières ressources qui rejoindront le lac de données.

Première maquette envisageant la présentation de chaque ressource côte-à-côte, chacune dans son silo.

Premiers soutiens

Le conseil scientifique du Dictionnaire des francophones s’est mis en place progressivement, réunissant des expertises qui furent précieuses pour affiner les grands axes du projet transmis par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), branche du ministère de la Culture. Le rôle de Bernard Cerquiglini, à sa tête, a été déterminant.


Olivier Garro puis Marielle Payaud, à la direction de l’Institut international pour la Francophonie, apportèrent leurs visions et méthodes de gestion de projet, poussant l’idée du Dictionnaire des francophones comme un commun de la connaissance et accompagnant la définition des besoins du projet. 


Jean Delahousse apporta son expertise en tant qu’assistant à maitrise d’ouvrage, proposant l’organisation de l’information sous la forme de graphe de connaissance et inscrivant plus clairement le DDF dans la ligne des données ouvertes promues par le ministère de la Culture.


Deux jeunes docteures en linguistique ont également apporté une aide précieuse à la conception de l’outil dès ses débuts. Kaja Dolar venait alors de soutenir une thèse sur les dictionnaires collaboratifs électroniques. Marie Steffens enseigne à l’université d’Utrecht et travaille sur la collecte d’informations lexicographiques en ligne. Leurs apports ont été précieux pour définir les grandes lignes de l’ergonomie, c’est-à-dire la place à donner aux différentes informations qui composent les entrées du Dictionnaire des francophones.

Extrait d’un document de travail montrant quelques questions qui se sont posées durant la conception du Dictionnaire des francophones.

Premières ressources

Dès le début du projet, il est envisagé d’intégrer le Wiktionnaire, qui a déjà été présenté ici. D’une part car ses données sont diffusées sous une licence permettant leur réusage, mais également car c’est une masse d’information considérable, et de bonne qualité. La seconde ressource considérée dès le début du projet a été l’Inventaire des particularités du français en Afrique noire dont l’accès a été rendu possible par l’Agence universitaire de la Francophonie.
Des contacts ont été pris pour l’intégration de ressources supplémentaires tandis qu’un premier prestataire rejoignait l’aventure, ainsi qu’un stagiaire et un vacataire pour renforcer l’équipe à Lyon, mais ce sera le sujet d’un autre billet de blogue !